Si vous suivez le tennis, vous connaissez la bête noire des joueuses et des joueurs. Amateurs comme professionnels.
La double-faute.
J’aurais pu ajouter : la nervosité, le stress et le manque de confiance. Mais j’ai choisi plutôt de me concentrer sur cet aspect si important d’une confrontation.
Vous n’êtes pas sans savoir que c’est un problème avec lequel notre jeune compatriote Denis Shapovalov se débat depuis le début de sa carrière au sein de l’ATP, lui qui se classe dans le Top 4 de ce département depuis 2018 avec une moyenne de six doubles fautes par match.
Si le Canadien semble avoir accepté de vivre avec cette épine au pied, ce n’est pas le cas de la puissante et talentueuse Biélorusse Aryna Sabalenka, dont ce problème récurrent l’a empêchée de justifier son potentiel et d’aspirer au premier rang mondial. Il n’y a pas que ça, mais disons que ce n’est rien pour aider.
Après trois années de misère au service, voilà que Sabalenka semble avoir trouvé le moyen d’endiguer le fléau et, sans surprise, elle est maintenant installée au deuxième échelon de la WTA depuis le 29 janvier dernier, au lendemain de son premier titre en Grand Chelem, sur le sol de Melbourne.
A-t-elle rencontré un psychologue réputé ? Non.
Mais elle a eu recours à la science pour tenter de trouver l’origine du problème et le corriger par la suite. Et cette science, peu importe qui la connaît et la maîtrise, c’est la biomécanique. Celle du tennis et, plus particulièrement, celle du service.
Dans son cas, c’est un spécialiste américain de la biomécanique, Gavin MacMillan, qui l’a grandement aidée en modifiant sa motion l’an dernier.
Ces spécialistes ne se trouvent pas qu’aux États-Unis, et ça ne date pas d’hier.
CAROLINE MARTIN : SOMMITÉ MONDIALE
La France, par exemple, peut s’enorgueillir de compter sur une spécialiste de renommée planétaire en la matière. Dès 2013, Caroline Martin a présenté une thèse de doctorat à l’Université de Rennes (Bretagne) sur le sujet. Ce document de 186 pages était titré : Analyse biomécanique du service au tennis : liens avec la performance et les pathologies du membre supérieur.
Elle-même une ancienne joueuse de bon niveau, Mme Martin dirigeait déjà, depuis 2010, le laboratoire M2S (Mouvement Sport Santé), également à Rennes, et elle était déjà une sommité mondiale grâce à ses écrits sur le sujet.
« Le service est un geste complexe, mais sur le plan de l’expérimentation, la mise en place est assez facile, car on ne dépend pas de l’adversaire contrairement à un coup droit ou un revers, déclarait-elle déjà au journal Le Républicain Lorrain en 2012. Le geste appartient totalement à son auteur. Nous n’avons pas à nous préoccuper d’une balle qui vient. Par conséquent, cela facilite les conditions de standardisation et l’analyse peut être plus juste. »
Voilà près de 40 ans que les premiers scientifiques ont commencé à s’intéresser à la biomécanique du geste, au tennis. Les balbutiements et autres moyens du bord ont fait place à de la haute technologie, expliquait Caroline Martin, cette fois en 2019, au journaliste Christophe Perron du magazine Courts.
« Notre gymnase est équipé d’une vingtaine de caméras opto-électroniques qui permettent d’enregistrer la position de marqueurs réfléchissants sur le corps des joueurs. Elles sont synchronisées pour reconstituer le mouvement du joueur en 3D. En une seconde la caméra va prendre 300 images. On a aussi un radar, des plateformes pour mesurer les forces de réaction au sol et de l’électromyographie pour les muscles en cas de blessure. »
Et son allusion aux blessures n’est pas anodine. Car la biomécanique permet éventuellement d’identifier les facteurs de blessures et, donc, de mieux les prévenir. Ici, celui qui le dit, c’est Cyril Genevois, un entraîneur qui intervient régulièrement auprès de la Fédération internationale afin de sensibiliser plus d’entraîneurs aux bienfaits de la biomécanique.
« Si je sers à 200 km/h, je suis efficace. Mais si je sers à la même vitesse avec un coût énergétique moindre, avec moins de contrainte sur l’épaule, je suis plus efficient. Il y a de très grands serveurs, comme Patrick Rafter, qui ont été très efficaces, mais qui en ont payé le prix, avec plusieurs opérations de l’épaule. Grâce au recul des études, on sait comment éviter des rotations trop précoces qui peuvent entraîner des blessures aux abdominaux ou à l’épaule. »
Dans cet article, intitulé la Clinique du Geste, Mme Martin se souvient d’un client débarqué chez elle en 2018, un certain Daniil Medvedev qui, accompagné de son entraîneur français Gilles Cervara, cherchait à améliorer cet aspect de son jeu. Medvedev a lui aussi laissé la spécialiste lui proposer des pistes de solution pour rendre son service plus efficace.
« J’étais dans une dynamique de réflexion par rapport au service de Daniil. Avec la biomécanique, je voulais valider mes impressions et lui permettre de constater par un moyen plus scientifique ce que je pensais distinguer », se rappelle Martin.
Vous connaissez la suite.
De 60e qu’il était, il s’est retrouvé au 16e échelon quelques mois après. Puis, un an plus tard, il accédait au Top 10 de l’ATP pour ne plus en ressortir (si on exclut ce court séjour de trois semaines, l’hiver dernier).
MÊMES RÉSULTATS POUR SABALENKA
Aryna Sabalenka avait dominé la colonne statistique des doubles fautes au cours des années 2020, 2021 et 2022. L’an dernier, elle dominait sa plus proche poursuivante avec 139 doubles fautes de plus… ayant joué seulement quatre matchs de plus.
Un désastre.
Aryna Sabalenka s’était même autosurnommée la « Reine des doubles fautes ».
Toutefois, même si l’année 2023 n’est vieille que de quatre mois, force est d’admettre que l’amélioration est nette. Surtout si on compare sa moyenne actuelle avec celle de 2022.
Elle a coupé son total de moitié.
Cette année, même si Iga Swiatek continue de faire cavalière seule au sommet, Sabalenka conforte sa place comme vice-reine de la WTA et creuse l’écart avec ses plus proches poursuivantes, Jessica Pegula, Ons Jabeur et Caroline Garcia. D’ailleurs, outre Sabalenka, sachez que Jabeur et Garcia ont récemment eu recours à la même science pour améliorer leur jeu.
Sabalenka sera dorénavant à surveiller. Outre ce premier titre du Grand Chelem en poche, une confiance renouvelée en son service la rendra encore plus dangereuse.
Et à 24 ans seulement, il n’y a que trois joueuses plus jeunes qu’elle, dans le Top 15 mondial.
En terminant, Aryna Sabalenka ne se gêne pas pour recourir à la science pour mettre le plus de chances de son côté. Outre la biomécanique, il y a également les statistiques avancées.
En août 2022, je consacrais un de mes blogues sur le site de Tennis Canada à ce sujet passionnant, et à l’entreprise d’un Australien nommé Shane Liyanage, Data Driven Sports Analytics (DDSA). Une firme que comptait la Biélorusse dans sa liste de consultants.